Loucherbem : n.m. Le mot loucherbem (louchébem ou louchébème ou louch’bem, etc.) – issu de la déformation par largonji du mot boucher, attestée pour la première fois en 1876 sous la forme luchebem – a été utilisé à partir de la fin du XIXe siècle pour désigner le largonji des louchébems (« jargon des bouchers »), autrement dit l’argot des bouchers. Le louchébem reste au xxie siècle connu et utilisé dans cet univers professionnel. Ce mot est un des plus anciens venant du verlan.
Définition : Le louchébem est un largonji (jargon). Le lexicographe Gaston Esnault explique ainsi le second terme (article largonji) : « Cette déformation des mots substitue l à la consonne initiale de la première syllabe ou — si le mot commence par un l ou une voyelle — de la syllabe suivante et rétablit, en fin de mot, la consonne étymologique, avec un suffixe libre. »
Strictement, le louchébem serait une « variété plus rigide de largonji [dans laquelle] la terminaison en èm [serait] obligatoire ».
Création lexicale : Le processus de création lexicale du louchébem se rapproche du verlan et du javanais. On « camoufle » des mots existants en les modifiant suivant une certaine règle : la consonne ou le groupe de consonnes au début du mot est reportée à la fin du mot et remplacée par un « l », puis on ajoute un suffixe argotique au choix, par exemple -em/ème, -ji, -oc, -ic, -uche, -ès. Ainsi s-ac se mue en l-ac-s-é, b-oucher en l-oucher-b-em, j-argon en l-argon-j-i, etc.
Le louchébem est d’abord et surtout un langage oral, et l’orthographe en est très souvent phonétisée.
Historique : Comme l’indiquait Gaston Esnault à l’article louchébème ou loucherbem de son Dictionnaire historique des argots français (1965), le louchébem ne semble pas avoir été conçu par les bouchers de Paris. Les plus anciens mots issus du procédé, qui, par déformation du mot jargon, sera appelé largonji (première attestation en 1881 dans Richepin, nouvelle édition de La Chanson des Gueux), se trouvent recensés dans l’argot des classes dites dangereuses de la première moitié du dix-neuvième siècle : lomben pour bon dans le glossaire argotique de Louis Ansiaume, forçat au bagne de Brest en 1821, La Lorcefé pour La Force (nom d’une prison parisienne) dans Les Mémoires de Vidocq (1828-1829), linspré pour prince dans Les Voleurs (Vidocq, 1836-1837), sans compter les formes anciennes issues d’un largonji sans report de consonne initiale à la fin ni « suffixe » (larque pour marque « femme » chez Ansiaume 1821, lousse pour pousse « gendarmerie » dans Dictionnaire d’argot de 1827, etc.). Le premier mot attesté de la déformation avec -em est lombem pour bon dans une lettre d’un malfaiteur (journal La Patrie de 1852), citée par Michel 1856 et Larchey 18585.
Le louchébem des bouchers aujourd’hui : Encore aujourd’hui les bouchers se servent du louchébem en communauté. Voici quelques exemples :
argot = largomuche
à poil = à loilpé
bonjour = lonjourbem
boucher = louchébem
client = lienclès
café = laféquès
combien = lombienquès
comprend = lomprenquès
(en) douce = (en) loucedé
femme = lamfé ou lamdé (lamdé est plus précisément une « dame »)
fou = louf (loufoque, louftingue)
gaffe (attention) = lafgué
garçon = larsonquès
gitan = litjoc
gigot = ligogem
maquereau = lacromuche
merci = lercimuche
monsieur = lesieumic
morceau = lorsomic
paquet → pacson = lacsonpem
pardessus = lardeuss (lardeussupem)
pardon = lardonpem
parler = larlépem
pas = dans le lap (dans l’expression lomprenquès dans le lap)
patron = latronpem ou latronpuche
porc = lorpic
pourboire = lourboirpem
putain (prostituée) = lutinpem
sac = lacsé
toqué = locdu
Le louchébem passé dans le français courant
Certains mots de louchébem sont devenus communs et ont aujourd’hui leur place dans le langage familier.
C’est en particulier le cas de loufoque que l’humoriste français Pierre Dac (1893-1975), fils de boucher, a contribué à populariser, au point d’être parfois présenté comme l’inventeur-même du mot.
Exemples :
cher = lerche (employé communément dans sa forme négative : pas lerche) ou lerchem
en douce = en loucedé ou en loucedoc
fou = loufoque, louftingue
portefeuille = larfeuille ou lortefeuillepem
filou = loufiah (personne peu fiable, puis servile pour s’appliquer en particulier aux serveurs de bars et d’hôtels)
à poil = à loilpé (c.-à-d. nu)
Le louchébem dans l’histoire
Une version exacte du louchébem (aujourd’hui quasiment disparue, sauf dans les communautés d’anciens résistants) était parlée par les résistants français pendant la Seconde Guerre mondiale.
Le louchébem dans les arts
On retrouve beaucoup de termes louchébem dans la littérature d’Alphonse Boudard : « Je me retrouve ce soir avec les Lettres à l’Amazone de Remy de Gourmont. Ça ne m’en apprend pas lerchem [cher] sur l’Inde, les Hindous et les Clancul. Non, et je ne parviens pas à les lire, ses somptueuses bafouilles au cher Maître. » (La métamorphose des cloportes)
Dans la chanson Sale Argot du groupe de rap français IAM, sur la mixtape IAM Official Mixtape, le rappeur Akhénaton rappe un couplet entier en louchébem.
Dans son album Méfiez-vous des petites filles, Philippe Marlu interprète Lansonchouille, première chanson en louchébem du millénaire, écrite par Stéphane ‘Léfanstouf’ Moreau.
L’écrivain français Raymond Queneau (1903-1976) a également utilisé le loucherbem dans un texte du même nom dans son recueil Exercices de style, publié en 1947.
Dans son roman jeunesse Les Mystères de Larispem, Lucie Pierrat-Pajot met en scène une caste de bouchers ayant pris le pouvoir lors de la Commune de Paris pour former un état populiste, où aristocrates n’existent plus et tous vivent égaux. Dans ce Paris rétro-futuriste, le louchébem est couramment parlé, et l’autrice explique que c’est en apprenant l’existence de cette forme d’argot que lui est venue l’inspiration pour son livre.